Mediator. La mystérieuse étude Servier de 2001
Qu'est devenue l'étude sur la dangerosité potentielle du Mediator demandée en 2001 par l'Agence européenne du médicament au laboratoire Servier ? Elle n'est en tout cas jamais parvenue aux spécialistes français de la pharmaco- vigilance. Délibérément ?>> Le dossier de la rédaction
>> Les révélations d'Irène Frachon
Le Mediator présentait «un vrai risque» pour les patients? Même les laboratoires Servier ont fini par l'admettre, il y a deux jours. Difficile de faire autrement : il ne se passe pas une semaine sans apprendre qu'un nouveau signal d'alerte clignotait. Dès 1976, date de sortie de ce médicament destiné aux diabétiques en surpoids, des doutes et des appels à la vigilance étaient lancés! Il a pourtant fallu attendre près de 34 ans, et la persévérance d'un médecin hospitalier brestois - Irène Frachon - pour que ce produit soit définitivement retiré du marché. Bilan: de 500 à 2.000 morts, consécutives à des troubles cardio-pulmonaires, selon deux estimations de la Caisse nationale d'Assurance maladie et de l'Inserm.
Rien sur «l'effet potentiellement toxique»
Les sentinelles de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) n'ont rien vu ou presque? La faute au mode de fonctionnement d'un système de veille (professionnels de santé) qui ne fait remonter, au mieux, que 5% des effets indésirables des médicaments. Concernant le Mediator, les doutes existaient pourtant. Et les informations permettant de démontrer la nocivité du médicament aussi. Certaines, déterminantes, parvenaient jusqu'aux instances européennes... mais ne seraient pas arrivées jusqu'aux personnes chargées de donner l'alerte en France. Octobre1998. L'Afssaps (son nom est alors encore «Agence du médicament») est informée que l'Italie, craignant que le Mediator ne provoque des atteintes des valves cardiaques, réclame une enquête. C'est à ce moment que la machine s'emballe. Des informations contradictoires, ou erronées, sur la nocivité du benfluorex, molécule du Mediator, parviennent aux spécialistes de la pharmacovigilance française. En juin1999, ceux-ci apprennent que les premiers résultats de l'enquête italienne «ne permettent pas de conclure à une possible neurotoxicité ou cardiotoxicité du benfluorex». Faux. Dans le rapport final, publié en octobre1999, les experts italiens affirment au contraire que «les patients traités sont exposés à un effet potentiellement toxique». Ce rapport et ces résultats ne parviendront jamais sur le bureau des responsables de la pharmacovigilance de l'Afssaps.
L'échelon européen mis en cause
Dans un document transmis récemment à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), que Le Télégramme s'est procuré, l'un des membres de cette commission évoque très pudiquement «un manque de communication». Un autre membre de la même commission, qui a souhaité conserver l'anonymat, parle beaucoup plus clairement: «Nous demandions des informations, mais il était impossible d'accéder aux bonnes sources. Pourquoi nos correspondants au sein de l'Agence européenne du médicament ne nous ont pas informés?» Pour ce second expert, le «manque de communication» est «l'explication la moins dérangeante». Lui avance une autre hypothèse: «L'existence d'un réseau parallèle qui édulcorait les informations dérangeantes pour le laboratoire français». Cet expert nous en fournit une nouvelle illustration. Après l'étude italienne, l'Agence européenne du médicament a demandé que les laboratoires Servier réalisent une enquête d'au moins un an pour démontrer l'efficacité et l'innocuité du benfluorex. La commission de pharmacovigilance de l'Agence en est informée. Mais, dans les semaines et les mois qui suivent, aucune information ne filtre.
Étude fantôme?
Dans un courrier que Le Télégramme s'est procuré, les laboratoires Servier donnent leur accord pour cette étude. Un protocole est même envoyé à l'Afssaps le 1er février 2001. Mais la commission de pharmacovigilance de cette même agence n'en est pas informée! «Non seulement nous ne l'avons jamais su, mais nous ne savons toujours pas, aujourd'hui, si cette étude a eu lieu ou pas, et quels en ont été les éventuels résultats», assène l'expert. Dans le document transmis à l'IGAS, l'autre membre de la commission tranche cette question: «Si cette étude avait été réalisée, elle aurait sûrement permis de mettre en évidence d'une part la faible efficacité du produit, et d'autre part les risques cardiovasculaires puisqu'un volet échocardiographique était annexé à ce protocole». En clair, la vie du Mediator aurait dû s'arrêter en 2002 ou, au plus tard, en 2003. Étrangement, c'est d'ailleurs à cette époque que l'Italie et l'Espagne font savoir à Servier qu'ils ne renouvelleront pas l'autorisation de mise sur le marché du Mediator. «Ou ces deux pays ont eu accès à cette étude et en ont tiré la conclusion qui s'imposait: le retrait. Ou l'étude n'a pas été menée et l'Italie et l'Espagne, demandant des comptes, ont opté pour le refus du médicament de Servier», analyse l'expert.
Qui a protégé le Mediator?
Pourquoi ces informations ne sont-elles jamais parvenues à ceux qui étaient chargés de la surveillance du Mediator? Mauvaise coordination ou entreprise délibérée de cacher des informations nuisibles aux bonnes affaires et à la réputation du laboratoire Servier? L'Afssaps, à qui nous avons demandé qui occupait les postes clés au sein de l'Agence européenne, et quels étaient les destinataires français des rapports européens sur le Mediator (...), nous a opposé un refus poli : «Vos questions entrent très précisément dans le champ de l'enquête de l'IGAS». De son côté, le laboratoire Servier n'a pas répondu aux deux questions que nous lui posions: l'étude demandée en 2001 a-t-elle eu lieu? Si oui, quels en ont été les résultats? L'Agence européenne du médicament n'a pas été plus loquace. L'IGAS doit rendre son très attendu rapport le 15 janvier. Avec peut-être une réponse à cette question: est-ce que le Mediator a été «protégé»?
- Hervé Chambonnière